Témoignage rapporté par Mgr Teissier: 

Extraits d’une lettre déposée à l’archevêché par une jeune femme, médecin, que nous ne connaissions pas… 

« J’en arrive au fait le plus horrible, celui de l’assassinat des moines de Tibhirine, qui fut pour moi pire qu’un sacrilège. Je n’arrivais ni à le concevoir, ni à l’admettre. En  tant que musulmane, j’avais hurlé. Honte du sang versé d’hommes du culte de Dieu, honte  de mon peuple ; honte de mon pays et, horreur, honte de ma religion….Notre cœur est déchiré car aucun musulman, je dis bien aucun, n’a été proche de nous dans notre tragédie. Personne ne  nous a soutenus : au contraire nous avons été les parias du monde. Nous étions seuls dans notre souffrance et aucun n’a eu le courage ou la pensée de prier pour nous et de dire : Dieu, aide-les, excepté vous…

Je pense que c’est Dieu qui veut la présence de l‘Eglise en notre terre d’islam…Vous êtes une bouture sur l‘arbre de l’Algérie, qui, si Dieu le veut, s’épanouira vers la lumière de Dieu. Ce n’est pas votre nombre qui compte. C’est votre oraison vers Dieu…Vous êtes très importants à nos yeux. Alors, s’il vous plaît, restez avec nous. »

Témoignage du frère Jean-Pierre sur ses frères

Pere Célestin

Il avait été éducateur parmi les drogués, les alcooliques, les prosti-tuées, cela pendant une vingtaine d’années. Son être en était indélébilement marqué. Il avait vécu parmi ces gens des expériences fortes où parfois sa vie avait été en jeu. Il avait en lui une soif d’aider à s’en sortir ; il s’y livrait totalement sans craindre pour sa réputation ni même pour une certaine ex-clusion du monde bien-pensant. On peut dire qu’il s’était fait l’un d’eux à la manière de Jésus qui s’est identifié aux humains sans craindre de se souiller à leur contact mais restant lui-même sans péché afin de nous donner part à sa beauté divine. Cette alliance avec les plus pauvres physiquement et moralement l’a marqué pour la vie.

Il y avait en lui comme une marche en avant dans la fidélité, le courage et le don de soi qui l’a soutenu toujours malgré les vents contraires dus à son caractère fougueux et enjoué ou aux événements. Cette marche l’a conduit jusqu’au bout dans l’offrande pascale que l’on sait, le 21 mai 1996.

 

Christophe Lebreton

Les homélies de Christophe comme ses poèmes avaient une allure qui lui était tout à fait propre : elles étaient méditées, faisaient appel à la sensibilité, au sentiment. Il avait une tournure de pensée parfois un peu hermétique, un peu comme Christian d’ailleurs, pas toujours facile à suivre. Son être profond s’y exprimait, sa foi, sa générosité. Le Mystère de Jésus en croix y était sou-vent évoqué. Il usait volontiers d’images ou d’exemples pris dans les réalités du quotidien, la nature, le travail au jardin, les relations entre voisins, la crise algérienne.

Ce que je retiens au sujet de Christophe en ses deux dernières années, c’est ce tourment intime autour du « Amen » à prononcer, si difficile, qu’il ne voulait surtout pas esquiver, qu’il a fini par assumer à cause de l’amour de Jésus qui l’habitait. En cela il s’est laissé conduire vers la ressemblance et le Mystère Pascal.

Christian

Son désir de communier à l’âme musulmane le mettait en quête de plus ; pas devenir musulman, c’est évident, mais se laisser saisir par tout ce qui dans l’islam est semence du Verbe, signe de sa présence active et de son souffle créateur, afin d’être le plus proche possible de ses frères en islam. Aller à Dieu avec eux, mais en Jésus-Christ, dans son Esprit et en authentique membre de son Église.

 

Père Bruno Lemarchand

Ce qui caractérise le père Bruno c’est son calme, son tempérament pai-sible, réservé, souriant et affable malgré une première impression donnée parfois d’être un peu bourru, sévère et autoritaire, tranchant dans ses reparties. Homme décidé et efficace, Bruno vivait sa consécration religieuse dans l’amour de l’office divin, de la vie cachée et du silence, dans l’attention aux autres, à ses frères religieux, aux pauvres et aux hôtes du monastère. Il semble que la discrétion relative dans laquelle Bruno se maintenait jusqu’à sa mort – c’est encore le cas depuis puisqu’on parle peu de lui – est significative de ce qu’il est en profondeur, un être qui se veut à Dieu seul.

 

Frère Luc Dochier

Face à l’éternité, conscient de son indignité, il se situait devant le Seigneur dans l’attitude du Bon Larron qui mettait son espérance dans la miséricorde disant : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume. » « Je suis comme un voyageur qui, les mains vides, attend l’arrivée du train sur le quai », disait-il encore.

Frère Luc était doué d’une immense patience non pas tant peut-être qu’il ne manifestait jamais de l’impatience par des éclats de voix, mais en ce sens qu’il portait à longueur de temps ses souffrances physiques personnelles ainsi que les fardeaux des autres, celui des pauvres et des malades. Sa plus grande souffrance n’était pas la sienne, mais celle de ne pouvoir venir en aide comme il l’aurait voulu, aux autres qu’il voyait dans la détresse.

Il ressort aussi combien Notre-Dame de l’Atlas est liée à frère Luc et réciproquement : présente au monastère depuis une cinquantaine d’années, sa personne accueillante à tous, simple et fraternelle, fidèle, se dévouant sans se ménager elle-même, homme de Dieu reconnu par les gens comme un « mara-bout », a fortement contribué à façonner à son insu l’image que la communau-té a pu donner d’elle-même au monde ambiant.

 

Frère Michel Fleury

Il tenait beaucoup à la « lectio divina », il veillait à ce que le temps prévu pour elle soit respecté. Lorsque le travail à la cuisine en perturbait l’horaire, il savait s’organiser pour suppléer. Tout le monde souligne son amour du silence : c’est exact, il ne parlait guère ; il tenait à ce que la cuisine ne soit pas un lieu de rencontres ou de partages entre frères ; il s’en défendait parfois avec une certaine vivacité. Homme silencieux, il savait pourtant faire entendre sa voix au chapitre ou au travail, parfois sur un ton qui n’admettait pas de réplique ; ce n’était pas toujours du goût de tout le monde. Le dialogue ne semble pas avoir été son fort. Il jouissait de la part de l’un ou de l’autre d’une certaine aura de sainteté : en avait-il conscience ?

 

Frère Paul Favre Miville

 

De caractère enjoué, joyeux, très affable et serviable, Fr. Paul était aimé de tous les frères ainsi que des voisins, nos familiers : bien qu’il ne sache pas l’arabe il parvenait à se faire comprendre par sa mimique et ses gestes, par ses actes bienveillants surtout. La forme de partage qu’il affectionnait était celle des mots pour rire ; là il ne risquait rien que du bien. Il aimait la liturgie, les prières et les lectures de l’Eucharistie, l’Office divin, le chant. Bien que non-prêtre, il y était parfaitement à l’aise. Malgré la somme de travail qu’il abattait et les responsabilités qu’il assumait, il veillait soigneusement à terminer à l’heure pour les offices ; et il se présentait, paisible, dans une coule toujours bien propre : on percevait là ce qui tenait la première place dans son existence.